Cet événement s'est passé à la mi-novembre. J'étais tellement bouleversée. Je devais me renseigner, comprendre des choses, lire la description de tâche des intervenants de 1ère ligne. Je ne comprends toujours pas...
-Maman, j'ai eu un rapport disciplinaire.
-Ah bon, que s'est-il passé, veux-tu m'en parler ?
-Et bien, je jouais aux cartes dans ma cellule avec mon ami et on écoutait aussi de la musique. J'ai entendu un genre de coup de poing dans le mur d'à côté et j'ai crié : "Aye, qu'est-ce qui se passe!!!"
Puis, je suis allé me rasseoir. C'est alors que je me suis rendu compte que c'était le gardien qui faisait sa ronde et vérifiait les cellules . Il s'est pointé devant ma porte et m'a dit:
"C'est quoi ton problème, as-tu de quoi entre les 2 oreilles?"
-Je lui ai répondu que c'était correct, que tout allait bien et que je croyais que c'était le gars d'à côté qui tapait dans le mur, que tout était beau, qu'il pouvait s'en aller. Mais maman, il restait là planté devant moi à me dévisager sans rien dire! Je lui répétais que c'était correct, qu'il pouvait s'en aller mais il ne partait pas. Alors je me suis fâché, je lui ai dis de crisser son camp.
De toute évidence, le gardien cherchait tout simplement à provoquer en allant chercher le point faible de mon fils, le but ultime étant de lui coller un rapport. Et l'intervenant de répliquer:
- Tu sais que j'aime ça moi donner des rapports disciplinaires...
-Bin donne-moi-le ton rapport, je m'en fous, je veux que tu t'en ailles! On était bien avant que t'arrives!!!
- Bin tu va l'avoir ton rapport...
Il partit et revint quelques minutes plus tard, glissant le billet sous la porte de la cellule de mon fils.
-Merci...
répondit mon fils.
C'est là que l'intervenant est sorti de ses gonds et a lancé à Fafouin:
-TES RIEN QU'UN OSTI DE POURRITURE !!!
Et mon fils de répliquer:
- EH C'EST QUOI TON PROBLÈME? T'ES FRUSTRÉ LÀ ET TU CHERCHES À DÉMOLIR LES AUTRES PARCE QUE TA BLONDE TE DONNE PLUS DE SEXE OU QUOI???
Le gardien s'éclipsa... Fafouin repris sa place et continua de jouer aux cartes. Puis, le voilà qui revient... Et Fafouin de répliquer:
-QUOI ENCORE!!!!!!
-Rien...
Puis l'intervenant tira sa révérence pour de bon.
-Maman, je pense que je lui ai cloué le bec finalement parce qu'il n'est pas revenu.
Dans le fin fond de moi-même ça me faisait un méchant velour qu'il l'ait remis à sa place ce crétin. En même temps, je ne pouvais pas le valider, lui dire qu'il avait eu raison de lui répondre comme il l'a fait. Fallait simplement trouver la bonne chose à dire. Au bout du compte, la seule personne vraiment pénalisée dans tout ça, c'était Fafouin. Si ça m'affectait terriblement, ça devait l'affecter lui, profondément. De quoi se sentir vraiment comme le dernier des derniers. Des paroles qui blessent, de la violence à l'état pur. Tout était si confus en moi, un mélange de colère, de rage, de tristesse empreinte d'une immense injustice. Je n'avais qu'une envie, lui administrer mon poing en pleine gueule à ce pauvre idiot d'intervenant et de lui en coller tout un rapport disciplinaire à coups de pieds dans le derrière tient...
Je regardais mon fils qui faisait mille et un efforts pour se sortir de son propre enfer; cours, meeting AA à toutes les semaines, patch pour arrêter de fumée, lectures, cardio. Ma rage sortait en larmes chaudes et muettes, les plus dangereuses. Arrière celui ou celle qui se serait pointé devant moi à ce moment...
-Mais maman, pleure pas, t'as pas à t'en faire avec ça.
Puis, je repris mes esprits et lui dit;
-Bon, là, regarde-moi bien droit dans les yeux et écoute-moi d'accord?
-OK.
-Je veux que tu te places au dessus de tout ça et ne JAMAIS, JAMAIS prendre personnel tous les commentaires méchants et déplacés que tu recevras de qui que ce soit d'accord? Des gens qui ne sont pas à leur place, il y en a partout. Triste qu'il y en ait tant dans le milieu carcéral mais cela demeure une réalité. Te placer au dessus de tout ça, toujours, tu m'entends? Y'a des gens qui, pour se donner de la valeur , ont besoin de démolir les autres parce qu'ils n'ont aucune confiance en eux, tu comprends? Laisse-les dire leur conneries et tâche d'être plus fort, de te retenir, même si ce n'est pas facile pour toi.T'as tout à gagner là-dedans, compris?
-Je sais tout ça maman t'as pas à t'en faire.
-Ce qui est arrivé, c'est vraiment pas acceptable. Tu sais que tu peux porter plainte?
-Je sais mais je ne le ferai pas parce que si je porte plainte, ils vont me transférer dans une autre prison ou dans un endroit pire qu'ici.
Bien bravo, c'est ça notre belle justice. Je suis tellement dégoutée que j'ai envie de vomir. Résultat: 10 jours sans sortir de sa cellule. Et il va apprendre quoi là??? À se révolter davantage. Belle pédagogie. On est dans quel siècle là? On tente de corriger par la répression, la punition. Ce sont des adultes bon sens, on les traite comme de pauvres âmes perdues, sans valeur..
J'oubliais, lorsqu'ils ont un rapport disciplinaire, il n'ont pas droit aux rencontres contactes pendant au moins 45 jours. À Noël, je ne pourrai même pas le serrer dans mes bras, ça restera derrière la vitre, comme toujours. C'est pas grave, ce ne sont que des prisonniers après tout...
Derrière ce jeune prisonnier se cache mon fils, mon enfant, fort malgré tout, avec toute une histoire , un bagage humain derrière lui et qui mérite qu'on l'encourage dans les démarches qu'il entreprend pour se sortir de son propre enfer.
J'essaie de m'imaginer cet homme, le soir, la tête enfoncée dans l'oreiller, se disant: "mission accomplie, j'ai fait une bonne journée; j'ai dénigré un jeune homme en lui crachant des méchancetés et de plus je l'empêche de voir sa famille à Noël. J'ai vraiment fait du bon travail, je suis fier de moi."
Bon d'accord, alors il y a des gens qui, comme mission de vie se plaisent à faire le mal autour d'eux et s'en réjouissent. Je me sens tout à fait incapable de donner forme à cette réalité si loin de moi, de mes valeurs...