Mardi dernier, je me croyais brave et forte. Pourtant, le dôme de la prison de Bordeaux m'est apparu comme un boulet de canon en pleine poitrine. Dès cet instant, j'ai su, senti... Non, cette fois-ci je n'échapperais pas à ma peine. Ce jour--là, le vacarme infernal dans les parloirs remplis à craquer, la chaleur suffocante et le manque d'intimité ont eu raison de mon humeur. Je n'ai eu ni l'envie de rester forte, pas plus que de garder le sourire ou de demeurer positive. Quand bien même j'aurais désiré de toute mon âme, je n'acceptais pas, c'est tout.
J'ai eu amplement le temps de réfléchir pendant un interminable 45 minutes d'attente, mon fils étant coincé derrière les plateaux pour le dîner. Aucun sens. Quand on pense qu'ils n'ont droit qu'à une seule visite par semaine, cloîtrés derrière les vitres de parloirs archi désuets. J'ai eu beau prendre de grandes respirations, tâcher de contenir le déferlement de larmes coincées dans ma gorge, rien n'y faisait. Je sentais que cette-fois-ci, je ne pourrais tenir le coup, même devant lui... Lorsqu'il arriva enfin, les traces de ma peine avait déjà marqué mon visage. C'est avec les yeux rougis que je l'accueillis. Un bonjour timide, à peine perceptible pour éviter d'éclater:
- Je te trouve très beau avec cette nouvelle coupe de cheveux...
-Merci! Et t'as vu mon tatouage?
Fafouin baisse un peu son chandail à la hauteur des épaules pour me montrer avec fierté le haut de son dos...
-C'est moi qui l'ai dessiné et ensuite on l'a reproduit! Il n'est pas encore terminé. Comment tu le trouves?
-Il est très beau, vraiment très beau Fafouin...
- Maman, mais qu'est-ce que t'as?
- J'ai de la peine. Je trouve cela extrêmement difficile de venir ici et de voir tous ces barreaux aux centaines de fenêtres alignées car je sais que c'est derrière ces barreaux que tu vis...
Les larmes coulaient à flot. Je n'en pouvais plus.
-Maman, pleure pas ici voyons!
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À St-Jérôme, je savais que j'allais le visiter en prison mais les fenêtres des détenus n' étaient pas accessibles au visiteurs. Ce que l'on ne voit pas fait moins mal... Et puis, dans ce centre de détention à dimension plus humaine, nous avions de petites pièces fermées où nous pouvions avoir un contact de qualité, même au travers la baie vitrée.
Pendant ce 45 minutes d'attente, je me suis sincèrement demandée quel était le sens profond de cette souffrance qui m'était imposée bien involontairement, à travers cette peine indescriptible.
Mon fils ne fonctionnera jamais de façon normale, ne vivra jamais une vie normale tant et aussi longtemps qu'il niera sa difficulté. Fafouin souffre depuis longtemps d'un problème de santé mentale extrêmement difficile à traiter. Je sais ce qui fut et demeure lourd, de façon constante. Ce sont ces deuils perpétuels qui ne cessent de s'accumuler au fil du temps, des années. Et la vie me demande de m'adapter sans cesse, chaque fois, m'adapter vite, sans quoi la souffrance devient intenable.
Pourtant, mon fils au fond de lui est un pur et grand soleil. Je regarde parfois ses photos d'enfant en m'imaginant arrêter le temps, un moment de pure magie où rien de cet enfer ne serait arrivé. Ça me fait du bien de pouvoir me l'imaginer... Pendant quelques instants seulement, je veux que cela soit ainsi. Un peu de rêve, j'en ai tant besoin , j'y ai tant investi. De la vie et du temps de qualité que je tenais à lui offrir, il a pu bénéficier. J'ai eu le bonheur d'entendre ses premiers mots, voir ses premiers pas, le regarder jouer au parc, le sachant heureux, lui apprendre à nager, faire du vélo, l'encourager dans tout ce qu'il accomplissait et aimait. Du succès qu'il avait auprès de tous par son sourire si communicatif, son charisme, sa personnalité unique et si attachante, sa sensibilité, sa créativité. Il aurait terminé ses études secondaires, ne se défoncerait pas dans les drogues fortes et l'alcool, garderait simplement un emploi, n'aurait pas de casier judiciaire, ne se ferait pas défoncer le visage, ne cambriolerait pas, ne menacerait pas de sauter en bas de la fenêtre du 2e, ne mettrait pas sa vie en danger, ni celle des autres en faisant du 160 km/heure sur l'autoroute, sans permis, ne coucherait pas dans des bacs à recyclage ou des abribus. Il serait autonome et cela le remplirait de fierté. Comme dans tous ses rêves accumulés au fil des ans, il deviendrait vidangeur, pompier, policier, cascadeur, comédien, joueur de basket, technicien en animation 3D, briqueteur et, depuis peu, éducateur spécialisé. Et je l'accompagnerais tout simplement, l'encourageant dans ses désirs. Est-ce trop demander que de n'avoir que cet unique désir de voir son jeune autonome et fonctionnel, simplement?
Et lorsque les premiers symptômes seraient apparus, les éducateurs prendraient la chose au sérieux, me croiraient, m'accordant toute la crédibilité nécessaire au lieu de me taper sur l'épaule comme si j'étais une enfant, en m'affirmant que mon fils n'a rien. Au lieu de le réprimander en lui enlevant des privilèges ils insisteraient eux aussi pour l'envoyer en évaluation, étant donné les antécédents familiaux, et mon fils bénéficierait d'un traitement préventif qui l'aiderait à contrôler son impulsivité. Quel beau rêve...
Pourquoi faut-il attendre le fameux 18 ans alors qu'on sait très bien qu'à cet âge, le mal est déjà fait et les blessures, immensément profondes. Pourquoi, pourquoi... De peur de coller trop tôt une étiquette... En agissant ainsi, on prend la chance d'hypothéquer le jeune pour le reste de sa vie. Quand va-t-on un jour démystifier les problèmes de santé mentale, leur accorder toute l'attention qu'ils méritent et traiter tous ceux qui en sont atteints, jeunes et moins jeunes ,comme toute autre maladie, dignement et avec ouverture? Est-ce que j'ai une étiquette qui me colle à la peau parce que je suis asthmatique? Ma mère n'a pas d'étiquette "parkinson"collée au front et pourtant, elle en est atteinte. Lorsque je souffre d'asthme, je peux contrôler ma maladie en prenant des anti-inflammatoires combinés à un broncho-dilatateur. C'est merveilleux. Quelqu'un quelque part s'est occupé de moi, a pris mon mal au sérieux! Le diabétique peut contrôler sa maladie avec de l'insuline. Il a aussi cette chance d'avoir été entendu et soigné dans sa maladie. Il existe des enfants diabétiques et asthmatiques et on les traite, non!
Ici au Québec, les jeunes aux prises avec un trouble de personnalité limite sont complètement ignorés et laissés à eux-même. Pire encore, ils se retrouvent en grande majorité en Centre Jeunesse à l'intérieur duquel les éducateurs n'ont pas la formation adéquate pour les orienter et les diriger de la bonne façon. Par la suite , plusieurs se retrouvent dans les centres de détention provinciaux ou fédéraux. La grande majorité des personnes incarcérée souffrent de problème de santé mentale...
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-Le médecin m'a prescrit du Séroquel.
-Ah bon, et à quel dosage?
-100 mg
-Et pourquoi t'a-t-il prescrit cela?
-Parce que je lui ai demandé!
-Mais Fafouin, le médecin ne prescrit pas de médicaments comme ça, sur simple demande!
-Mais oui maman, il s'en foutent les médecins ici!
...
Je me sens perplexe. Séroquel est un anti-psychotique qui sert à traiter la schizophrénie et à contrôler les épisodes maniaques et dépressifs du mal bipolaire. Mais, j'ai appris aussi de source sûre qu'il était employé aussi pour traiter le trouble de personnalité limite, ce qui n'est pas mauvais en soi. Mon fils ne me dit probablement pas tout...
Par ailleurs, est-ce possible qu'un médecin dans un pénitencier soit à ce point inconscient, au point de donner n'importe quoi à qui le demande? Je me pose la question.
- Fafouin, je t'ai vu à peine 15 minutes...
-C'est pas grave maman, tu reviendras la semaine prochaine!
Quelle capacité de résilience tout de même mon beau garçon... J'ai quitté en larmes ayant peine à conduire. Je n'ai pu enseigner en après-midi. J'ai donc tout annulé. Ça m'a permis de refaire mes énergies et de retrouver peu à peu mon équilibre. J'avais tant besoin de sentir le vent printanier au bord de la rive et c'est ce que je fis...