Fafouin est à Bordeaux depuis janvier. Me suis adaptée, vraiment. J'ai même réussi à faire de ces visites un temps pour moi en même temps que pour lui. Règle no.1: le sourire. Pourquoi? Bien parce moi, j'ai pas envie d'arriver là déprimée, que je suis pétante de santé et que j'ai bien l'intention de le rester. Ceci dit, sitôt sortie du stationnement, pièces d'identité présentées, je fais ma marche rapide jusqu'aux portes de fer vertes. Je pense que ça se transmet là, je veux dire le sourire:
Le gardien:
-Bonjour, vous venez pour me visiter?
-Oui! Comme à toutes les semaines!
Je me dépêche à prendre un numéro parce que j'ai hâte de me plonger dans mon magasine Santé. Savoir utiliser le temps qu'il me reste à attendre de la façon la plus profitable devient un art!
Tiens, aujourd'hui, il y a peu de gens. Je suis assise à côté d'une jeune femme et devant un beau jeune homme d'au plus 20 ans. Elle et lui discutent. Lui, je l'observe...
- Je viens de sortir, j'ai passé 6 mois en dedans pour... C'est vraiment le fun la sensation quand on sort!
Il est si beau, d'une prestance, un charisme incroyable, comme mon Fafouin. C'est pas un 2 de pique croyez-moi. Je ne peux faire autrement, abaisse mes lunettes et lui lance:
Je trouve que tu as une belle personnalité et toute l'avenir devant toi. As-tu du soutiens pour ta sortie?
-J'ai un métier, je suis briqueteur! Me dit-il tout enjoué.
Il était très positif.
-As-tu des gens pour te supporter là-dedans?
- J'ai mes cousins et cousines et des amis ici mais...
-Et tes parents?
-En 6 mois, mon père et ma mère ne sont jamais venus me voir.
-Je trouve ça bien triste... Bonne chance mon garçon...
J'étais attendrie, ce jeune, je l'aimais déjà de tout mon coeur, c'est comme si c'était mon fils. Il s'est levé, des gardiens l'appelaient, puis il sortit. Je me tenais devant la porte car mon tour arrivait. Je le vis sortir de nouveau. Il jeta un regard curieux en ma direction, vers la salle d'attente. Je lui fis un beau bonjour d'une main qui voulait tout dire à la fois, une main d'amour quoi. Il me renvoya le plus beau des sourires. Trésor, je ne l'oublierai jamais...
Ici, il se passe toujours plein de choses, plein d'émotion.
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Arrivée aux parloirs, pour la première fois, je ne suis pas restée longtemps, à peine 15 minutes.
- Ta sortie est dans presque 2 semaines. Quelle est ta priorité en sortant Fafouin, tu y as pensé un peu?
-Oui, faut que je me trouve une job. Je vais faire une demande d'aide sociale aussi, j'ai pas le choix.
Je vais me faire un peu d'argent en sortant, pour m'aider un peu, je vais cacher des... dans mes bas et le vendre...blabla...
Je n'entrerai pas dans les détails. Comment dire, et vlan, je recevais tout à la fois: une gifle, un cauchemar, une déception intense en même temps qu'une peine profonde mêlée d'une d'immense impuissance. Mais qu'est-ce que je fais là moi? Je suis un beignet ou quoi? J'avais le sentiment d'avoir été trompée sur toute la ligne, naïve à tel point... Ou bien est-ce la mère en moi qui ai tant espéré le voir prendre un chemin trop différent de ce qu'il est véritablement? Simplement parce que je souhaite comme tout bon parent le voir libre en ce monde, qu'il soit heureux? Mon fils ne veut pas suivre le droit chemin. Sa vie c'est de cette façon qu'il l'a choisie et qu'il veut la vivre. D'une évidence...
-Maman, pourquoi tu ne parles plus, qu'est-ce que t'as?
-Bon, écoute, je ne me sens vraiment pas bien là. Je suis en colère, j'ai de la peine, et à la fois déçue. Je croyais sincèrement que tu voulais te faire une belle vie... Je suis désolée mais je pense qu'aujourd'hui, je ne serai pas d'une très bonne compagnie pour toi. C'est trop là. Laisse-moi digérer tout ça d'accord? Maintenant, je dois partir...
- Mais maman, t'es pas sérieuse là???
-Oui. Il faut que je parte. Désolée. Je t'aime.
Je pose ma main contre la vitre et pars.
En quittant, je me suis parlée. Non, c'est pas vrai que je vais commencer à déprimer là. J'étais vraiment décidée à me recentrer sur moi-même sans quoi j'aurais fondu dans le désespoir, en larmes. Et cela m'aurait servi à quoi au juste? Pfff, non... Ajustement. J'ai passé une très belle fin de journée parce que j'en ai décidé ainsi: marche rapide, respirations lentes, soleil, repos.Faut que je m'occupe de moi, toujours.
OK. Il reste 2 semaines avant la sortie de Fafouin. Malgré 10 mois d'emprisonnement, le résultat est ce qu'il est, donc, impossible de l'aider ni le soutenir en quoi que ce à sa sortie. Tiens, je me vois parfaitement lui dire d'aller son chemin. Lâcher prise total: " Mon garçon, vole, vends de la dope, c'est vraiment ce que tu désires, bien fais-le et vas ton chemin!!"
Par contre, il faut qu'il sache que s'il choisit cette direction, il ne pourra pas venir à la maison aussi souvent qu'il le souhaite, de moins en moins en fait et peut-être un jour plus du tout parce que son mode de vie me fait peur, terriblement peur...