Fafouin venait coucher à la maison Dimanche soir car je l'accompagnais en cour lundi matin. Il devait effectivement passer pour une offense commise l'an dernier. La semaine précédente, j'avais communiqué avec son avocate pour lui demander s'il existait, en cour de la jeunesse, des peines directement reliées au méfait et pouvant aider le jeune dans ses difficultés. Dans le cas de mon Fafouin, c'est sa consommation excessive de cannabis. Elle avait été très gentille. Oui, effectivement, on peut suggérer ou même imposer une peine qui insite le jeune à se questionner, à se prendre en mains pour ses problèmes de consommation. Encore faut-il qu'il admette et qu'il veuille bien s'en sortir...
Donc, Fafouin arrive vers 22 hres 30 Dimanche soir. Il entre dans sa chambre et s'empresse de me montrer le petit débardeur rose en dentelle de sa petite amie. Il me regarde puis le presse sur son coeur...
-Tu l'aimes ta Catou n'est-ce pas?
-Oui maman...
-Je pense que c'est ton premier vrai amour?
-Oui...
-J'aime te voir comme çà. Je te trouve bien tendre, je trouve que c'est une bien belle qualité.. Je suis heureuse pour toi.
Je m'approche et l'embrasse tendrement sur la tête puis je quitte la pièce.
Le lendemain matin, nous déjeunons et quittons la maison pour mon endroit préféré...le palais de justice...
C'est long, çà s'éternise. Entrés dans la salle d'audience nous en ressortons sans avoir passé, son avocate étant occupée à régler à l'extérieur de la salle une affaire urgente. L'audience reprend dans 30 minutes. Je suis en pleine forme, calme, sereine et disponible pour mon garçon. L'équilibre quoi. Il est déjà tard, je n' ai pas prévu et c'est presque l'heure du diner. La fringale me prend et je demande à mon garçon s'il a de l'argent sur lui pour manger.
-Mais oui maman, pas de problème.
Il vide alors ses poches devant moi et me montre plusieurs liasses de billets de 20 dollars. Çà y est, mon équilibre disparaît, je vais m'écrouler. Je ne vois plus rien. Lorsque la surprise fait place à un choc brutal, provoquant à coup sûr et, simultanément, déception, colère, inquiétude et peine profonde on doit réajuster le tir rapidement, momentanément, pas le choix. Je suis dans un lieu public, au milieu d'autres jeunes, parents et avocats. La douleur intérieure si intense provoque en moi l'envie d'un long crie strident et primale. Au dedans, çà hurle comme c'est pas possible. Le rayonnement de mon équilibre disparait de mes yeux, je le sens, Fafouin aussi...Ils parlent le langage de la tristesse et la boule au fond de ma gorge s'établit en permanence. Je me sens incapable de m'ajuster. Intérieurement, mon équilibre me quitte.
Je savais que cet argent ne venait pas de son travail. Il en devait à son père et c'est ce dernier qui gérait momentanément ses finances. Donc, il venait d'ailleurs...
-Cet argent ne vient pas de ton travail Fafouin...
-Non...
-Alors, d'où vient-il?
-Je me suis débrouillé...
Çà suffisait, c'était déjà trop. Il venait de s'acheter un cellulaire, recevait beaucoup d'appels extérieurs, des inconnus. Son père avait des doutes et...voilà, je savais qu'à cet instant même il venait de déraper mais cette fois-ci, un pas risqué, dangereux, mon grand garçon, mon bébé...
Il est allé fumer une cigarette, je suis descendue en bas prendre un café. Mes sentiments étaient confus. Tout se bousculait. J'avais envie de le planter là et de lui dire de se démerder avec ses problèmes, la colère parlait. J'avais aussi l'idée de le brasser et de lui dire de se réveiller. Je ne l'ai pas fait, ce n'était pas le moment Je me suis tue, entrant, zombie, dans la salle d'audience, accompagnée de mon fils, entendu la sentence. Allez, qu'on en finisse, mon seul souci étant de sortir d'ici au plus vite. Je n'avais aucune idée de ce qui allait se passer. L'extérieur, l'extérieur, prendre l'air, vite çà presse... J'enfilai d'un pas rapide, mon fils suivait, inquiet et penaud, je le sentais...
-Il semble que ce soit ton choix de vie...
-Non maman...
-Alors, t'as de sérieuses difficultés au niveau de ta consommation!
-Pas tant que çà....
-Pas tant que çà? D'accord. Alors, tu te fais pincer dernièrement dans une voiture, à voler son contenu, nous venons de sortir de la cour tout juste à l'instant pour un délit de l'an dernier et là, j'apprends que... T'as raison, t'as pas de problèmes. Que puis-je y faire de toute façon!!!
-Mais oui, Ok, j'en ai un problème!
Alors là je m'effondre, çà sort comme çà, sans que j'y pense....
-Tu ne peux pas savoir à quel point je suis fière de toutes tes belles qualités. Tu es un jeune garçon fantastique, avec une force incroyable. J'étais et je suis encore tellement fière de constater que tu possèdes une détermination à toute épreuve. J'en parle souvent à ton père, en fait, je n'ai jamais cessé de lui en parler, de tes belles qualités, ta sensibilité, ta créativité et je me demande maintenant comment tu comptes utiliser tout çà!!! Mais qu'es-tu en train de faire de ta vie Fafouin!!! C'est dangereux, cet argent est sale! Et moi, je ne peux rien faire pour te convaincre d'arrêter tout çà!!! Ce que je veux pour toi, c'est le meilleur.!Je t'aime tellement! Je veux que tu sois libre, je te veux heureux...
J'avance, ralentis, m'arrête enfin, en lambeaux, les bras presqu'au sol, je m'effondrais. Et la peine sortait là, toute crue, comme çà. J'aurais été au beau milieu d'une foule et m'en serais carrément foutu. Alors, il s'est avancé, m'a pris dans ses bras et m'a dit: " Ne t'en fais pas maman, çà va aller." Il me serrait si fort, je le serrais... Nous étions enlacés, il sentait mon amour pour lui, je sentais le sien. Que dire de plus, un moment d'éternité.
Que le sentiment d'amour lorsqu'il n'y a que le fond de l'âme qui parle de tout son corps...