Aujourd'hui, je suis avec maman dans sa chambre. Nous sommes dans une maison de soins palliatifs...
Maman veut aller faire ses besoins et se dirige péniblement vers la salle de bain avec sa marchette.
-Mais maman, il faut utiliser ton siège d'aisance!
- Non, pas lorsque je vais à la selle.
-Bon, très bien. Dis-moi si tu as besoin de moi. Je ne quitte pas la chambre.
Pendant ce temps, ni vu ni connu, j'en profite pour faire le ménage dans son tiroir où elle accumule, pêle-mêle, les menus du jour sur papier, les petits contenants de confiture, les sachets de sucres et j'en passe. Je n'entends rien dans la salle de bain.
- Maman, ça va?
-Ah, c'est difficile...
J'entre. Elle est accroupie et essaie de monter sa culotte en papier.
- Mais maman, il faut l'enlever, tu ne peux pas la remettre voyons, elle est souillée!
-Mais non, c'est correct.
Je la sens devenir faible, simplement à l'idée de devoir se changer.
-Je vais t'aider, ça va aller.
J'entreprends le grand nettoyage, avec amour, patience et respect. Bon sens que c'est pas facile. Je me mets dans sa peau. Elle est incapable de se lever seule, ces jambes sont trop faibles. Je compte jusqu'à 3 et hop, l'aide à se relever.
Puis, je la couche et m'étends auprès d'elle. Elle s'endort avec ma petite chienne sur ses genoux.
_____
Quelques heures plus tard, elle se réveille et veut retourner à la salle de bain...
-Maman, non, il faut utiliser ton siège d'aisance, c'est difficile à la salle de bain. Tes jambes sont trop faibles. J'ai sorti tout le matériel et rapproché la chaise pour toi.
Visiblement ça ne fait pas son affaire mais elle accepte. Sa culotte est mal baissée. Elle risque de la mouiller avec ses urines. Je l'aide une autre fois. Sa culotte est déjà souillée mais elle veut la remonter. Je recommence l'exercice...
_______
De retour au lit, après l'avoir bordée, j'étais assise sur la berceuse, tout près d'elle. Claire, l'infirmière entre.
-Comment ça va?
-Je trouve que ça ne va pas du tout. Maman ne peut plus aller à la salle de bain. Ses jambes sont trop faibles. Elle n'est plus capable de se relever. Y a-t-il moyen de barrer l'accès?
-Non, par mesure de sécurité, ça nous prend un 2e accès.
-Je comprends. Alors, y a-t-il moyen de laisser sa porte ouverte au moins?
-Non. Votre mère tient à ce que sa porte soit fermée.
-Mais elle ne sonne jamais pour demander de l'aide!!!
Bon. Je me tourne vers maman:
-Maman, est-ce que tu accepterais de laisser ta porte ouverte pour ta propre sécurité?
-Jamais de la vie, je veux que ma porte reste fermée.
Là, j'aurais étranglé et l'infirmière et ma mère....
-C'est son choix. Ici, nous sommes dans une maison de soins palliatifs et ce qui compte, c'est le respect du patient. Et qu'arriverait-il si votre mère restait assise sur le bol de toilette et qu'elle ne sonnait pas?
-Et bien, au bout d'heure, à force de prendre toutes ses énergies pour essayer, elle se résignerait à peser sur le bouton.
-C'est ça.
...
Il n'y a qu'un seul hic là-dedans , c'est que ma mère est en perte d'autonomie, son cancer l'affaibli, elle est en fin de vie., qu'elle n'a pas le raisonnement nécessaire pour prendre les meilleures décisions pour elle. De plus, c'est une adulte qui a du vécu et non un enfant à éduquer. Wake up merde!!!!
Le ventre commençait à me chauffer. Et, une petite voix à l'intérieur de moi me disait: ferme ta gueule! Parce que là, j'aurais eu envie de lui dire que son raisonnement était tout à fait insensé, que l'important c'était justement la sécurité et le bien-être des patients, que j'avais déjà porté plainte 2 fois en centre jeunesse à l'endroit de TS de la DPJ et que j'avais gagné ma cause.
Je poursuivis en m'assurant que j'avais le contrôle de mes émotions:
-Je vais vous le dire qu'une seule fois; je ne sais pas comment vous faites pour accepter ce genre de loi. Personnellement, j'aurais pété ma coche. Je vous lève mon chapeau à vous tous. Écoutez, ça m'inquiète vraiment, je ne la sens pas en sécurité là. Maman perd des forces. Je trouve qu'elle est rendue à une autre étape.
- C'est votre insécurité à vous, pas la sienne.
Ayoye, ça se gâche vraiment là...
Puis là ça sort;
- Dans les années 40 et 50, on pouvait faire enfermer n'importe qui, simplement pour s'en débarrasser. Puis, il y eut des lois pour interdire ce genre de chose. Maintenant, tout est à l'opposé, pour soi-disant respecter les gens et s'assurer qu'il n'y a pas d'abus. Ça prendrait un équilibre, ne croyez-vous pas? J'ai dû placer mon fils en centre jeunesse dès l'âge de 14 ans et il avait le droit de décider ce qui était bon ou pas bon pour lui, en pleine crise d'adolescence. Vous croyez vraiment que ça a de l'allure vous?
-Vous avez vécu des choses que je n'ai pas vécues.
(Effectivement)
- Est-ce que ça se pourrait que vous viviez un sentiment de culpabilité face à votre mère?
Oh boy, ça se corse, et pas à peu près là. Un gros défi pour moi. Du calme, tout va bien aller...
Puis là, bien la voix intérieure retenti de nouveau encore plus fort en moi: misère, calme-toi et ferme ta gueule!!! Je me suis calmée et fermée ma gueule... J'avais le goût de l'aplatir au sol, la gifler, lui dire que ça faisait 2 ans que j'étais aidante naturelle pour maman et que tout ce que j'avais fait pour elle était ok, que j'avais écouté mon coeur, que je n'avais aucun regret malgré la fatigue accumulée, que de plus, j'avais fait d'excellentes thérapies par le passé, que la culpabilité, je savais exactement ce que ça voulait dire, qu'elle était totalement dans le champs. Mais, mais, mais... Je n'ai pas perdu les pédales, me suis calmée, suis restée centrée sur ce que j'avais à dire.
-De la culpabilité? Non, vraiment pas du tout. De l'inquiétude, oui! Je sentais maman en sécurité ici lorsqu'elle est arrivée. Maintenant, je ne la sens plus en sécurité.
Bon. Finalement, on en est arrivée à un consensus, que l'idée du tabs serait une bonne chose mais, les infirmières ne pouvaient rien faire sans le consentement de la famille car le tabs est considéré comme un moyen de contention (!!!). Placer un appareil sous maman lorsqu'elle dort et qui prévient simplement les infirmières, chaque fois qu'elle se lève, c'est de la contention ça??? Ouf, je rêve je pense...
Mais, peu importe, la solution se trouvait dans une rencontre d'urgence avec TS, médecin et membres de la famille, ce que nous avons convenues et investiguées, ma soeur et moi, pas plus tard qu'hier.
Claire, l'infirmière, je la respecte et l'aime beaucoup. Le seul hic, c'est qu'elle est capable d'accepter des choses que je suis incapable d'accepter.
-