Été 1975, un vendredi soir...
Mon père est en psychose mais ne reviendra que le Dimanche soir. Il a des armes dans le coffre arrière de sa voiture. Ma mère sentait très bien le danger et avait tout prévu avant nous, pour notre protection. Le samedi matin, elle nous avait dit:
" Les enfants, va falloir être très courageux. Écoutez-moi bien. Chacun, vous allez ranger vos chambres et tout mettre vos choses dans les boîtes que je vous donne, le plus rapidement possible. Grand-papa s'en vient et va nous aider, tout va bien aller."
Ok... J'avais 17 ans. Au fond de moi je savais qu'elle avait parfaitement raison, que c'était la chose à faire mais, ma vie basculait dans le néant. Depuis l'âge de 4 ans, je vivais dans cette maison. C'était si difficile et insupportable, là, comme ça, de tout abandonner, en 5 minutes. C'était vraiment ça. Mais il y avait urgence. Je me rappelle avoir fait mes boîtes en pleurant constamment. J'entendais mon frère et ma soeur faire de même en haut, en pleurant. Mon grand-père et moi rangions à la hâte la vaisselle sale dans le lave-vaisselle pour faire plus rapidement. On ne savait même pas où on s'en allait mais maman nous avait rassurés. Elle avait tout prévu depuis une semaine, pour notre confort et notre sécurité à tous. C'était un endroit tout à fait bien, un grand logement avec une place aménagée au sous-sol, juste pour nous tous, sans mon père. Plus d'enfer, plus de cries, de hurlements insupportables.
Arrivée sur place, j'ai eu une réaction vraiment mais totalement ingrate et inappropriée, une réaction d'adolescente complètement déboussolée et déracinée: " C'est laid, c'est pas beau, j'veux pas vivre ici!!!" Comme je m'en suis voulue par la suite et m'en suis excusée à plus d'une reprise. Pauvre maman, elle si forte...
Un jour, mon père a découvert où nous habitions et nous a menacé à grands coups de pieds, dans la porte arrière, avec une carabine. En attendant la police, nous étions tous cachés comme nous le pouvions, de façon improvisée, sous les lits, dans les garde-robes, complètement terrassés.
L'été 1975 en fut une de fuite dans les drogues. Pour combattre cette douleur insupportable, je prenais et gobais tout; ce que j'avais l'habitude de fumer pour fuir et tout ce que je voyais et qu'on m'offrait comme pilules. J'ai pris des chance, je le sais, j'aurais pu mourir avec tout ce que j'ingurgitais.
Paradoxalement, la peinture et la musique m'ont sauvés. Intuitivement, j'ai acheté des tubes de peinture et commencé à peindre des toiles, à l'huile, des dizaines de toiles, seule dans ma chambre, sans savoir peindre, c'était ma survie. À la fin, je pense que j'y arrivais vraiment bien. J'avais l'oeil pour les ombres et lumières. À présent il n'y reste plus rien, j'ai tout jeté par la suite. Pas grave, je me rappelle dans mon coeur de chacune de ces toiles.
Puis la musique... Je me suis mise à improviser au piano les chansons du premier et 2e album d'Harmonium, méthodiquement, solennellement, sans jamais m'en lasser, chaque jour. Ce même été, il y eut l'album "Récolte de rêves" des Séguins que j'écoutais en boucle.
"Prière à la Terre" était ma préférée. Elle me faisait tellement vibrer. Je m'y retrouvais tant comme personne. C'était mon havre de paix, de tendresse et d'amour, ma survie, ma délivrance.
R... Je sais bien que tu ne pouvais pas deviner tout ça. Mais c'est quand-même ça. Alors, merci de me l'avoir fait entendre de ta plus belle voix.
PRIÈRE À LA TERRE
Je suis un fruit qui grandit, qui murit
Tu es la terre qui m’attend
Ouvre tes bras
Reçois ma vie
Reçois mon amour dans ta vie
Mon amour
Il fait beau dans tes yeux
Prenons le temps
De faire un lit de chaleur
L’hiver est long
Prend ton manteau
Prends ta robe blanche
Ta robe d’amour
La nuit sera belle
Nous pourrons dormir en paix
Le ciel est gris, le soleil a faibli
Il a neigé ce matin
L’hiver s’en vient
Le vent est froid
Il faut faire un nid
Cachons nos coeurs au chaud
L’arbre est fané
La branche où je suis né
C’est le temps de nous aimer
Jusqu’au printemps
Jusqu’à la vie
Jusqu’à la lumière, au levé du soleil
La nuit sera belle
Nous pourrons dormir en paix
Séguins
Album «Récolte de rêves»
1975
13 commentaires:
Je suis heureuse de retrouver ce si beau texte...Et de découvrir encore et toujours des évènements de ta vie qui me bouleversent et pourtant j'ai tant l'impression de te connaître depuis si longtemps, à travers tous nos échanges profonds ...
Mais, comme toi pour moi, il y a toujours tant de choses que l'on ignore sur l'autre. comme je l'ai mis sur mon dernier post, : derrière les mots, les maux, est-ce qu'on entrevoit ?
Une fois de plus, force m'est de constater que plus nous avons eu à nous battre jeunes, plus nous sommes devenues des femmes fortes !
bel hommage à R. aussi :-)
je t'embrasse fort
PS, j'ai rajouté un lien pour Zoreilles sur le dernier post, pour lui faire découvrir VOULZY, à travers une chanson qu ej'aime tellement , un univers à part ...
Les moments difficiles que nous avons tout au long de notre vie ne peuvent que renforcer l'amour que nous avons envers l'Univers.
Cela s'appelle l'expérience de vie...
Je sais bien que les épreuves forgent le caractère et nous aident à devenir plus fort, mais des fois, c'est tout le contraire. Souffrir fragilise aussi et on peut s'en passer! Heureusement, tout ceci est derrière toi. Je comprends encore mieux que tu veuilles rester proche de ta mère et t'impliquer dans son bonheur. Elle ne l'a pas eu facile et a fait le maximum pour vous protéger.
« T'écouter » raconter ce bout de ton histoire me bouleverse. C'est pas possible ce que la violence conjugale et la maladie mentale (diagnostiquée ou pas, traitée ou pas) peuvent faire vivre de souffrance aux proches...
Chez moi, dans ma famille, il y avait bien sûr des problèmes comme dans toute famille dite « normale » mais pas celui-là. Je ne soupçonnais même pas que ça puisse exister. Pourtant, ma meilleure amie en vivait chez elle et je n'avais rien vu. Elle avait parfois des comportements bizarres et sa mère aussi mais je me disais qu'elles venaient d'ailleurs et qu'il devait s'agir de différences culturelles. Si mon amie avait eu besoin d'en parler, j'aurais été là pour l'écouter.
Puis, la famille de mon amie est déménagée à Québec... Notre amitié s'est poursuivie par correspondance. J'ai su dans ses lettres que son père était malade... Un cancer dont il n'allait pas se sortir. Ce que je trouvais curieux, c'était que Michèle ne semblait pas catastrophée du tout par la situation. On aurait dit qu'elle avait hâte qu'il meure.
L'été de mes 16 ans, voulant aller la consoler de ce terrible chagrin (j'aimais tellement mon père que je pouvais me mettre à sa place) j'ai pris l'autobus et suis allée la voir à Québec, à son invitation.
C'est là qu'elle et sa mère m'ont mise au courant de ce qu'elles avaient vécu du temps qu'on habitait tout proches, solidaires l'une de l'autre, pour faire face à ce tyran de mari et de père dont elles avaient toujours eu peur et dont elles étaient délivrées à la suite de son décès. Elles m'ont expliqué toutes les choses dont j'avais été témoin sans me rendre compte de rien mais qu'elles devaient taire alors quand elles avaient si peur de lui.
Mon amie n'est jamais revenue en Abitibi. Pour elle, notre région lui rappelle une grande misère qu'elle y a vécue.
Quelle situation pénible et difficile à gérer pour une maman et des moments de souffrance à vivre pour les enfants. Les personnes qui ont souffert deviennent souvent plus humaines et plus fortes.
Juste de voir la nouvelle photo d'entête de ton blogue, c'est du bonheur concentré. Merci!
Oh là ! Je ne m'imaginais pas que tu avais pu vivre tout cela.
L'important est que vous vous en soyez sortis et remis.
Il faut toujours croire en des jours meilleurs, en la vie.
Il faut parfois se trouver une thérapie pour oublier, tout simplement pour vivre.
Je t'embrasse.
J'suis souvent absente du net, mais toutes les fois où j'y reviens, c'est avec ton coeur que tu touches le mien.
Toujours!
xx
ce soir je pense à deux jeunes : Patrick et Fafouin
tout le reste , tu le sais ma Nanoubis
tendresses
temoignage tres touchant...
bon w end a vous !
À vous tous,
ne vous inquiéter pas. Je vous reviens bientôt! Désolée du temps à vous répondre...
Bizous à tous xxx
mais bon sang , tu manques !
Nanou,
C'est fou ce que l'on doit parfois vivre. Tu dis que ta mère était forte. Ça se sent. Ton récit nous rend sympathique à sa cause et suscite mon admiration. C'est curieux de voir comment on doit parfois emprunter la voie de ceux qui nous ont précédés. Et c'est évident que tu as hérité d'une bonne dose de courage. Le tout a également servi de déclencheur pour développer tes talents. Je crois que rien n'arrive pour rien.
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